Les maîtres de l’ombre


Essai sur un « abc » (part.6)

Tous les pratiquants français des arts martiaux et sport de combat ont entendu parler un jour ou l’autre des maîtres de l’ombre. Terme véhiculé dans la littérature et les publications spécialisées
francophones depuis plus de 40 ans.

De Henry Plée avec ses chroniques ou Roland Haberzetser avec ses livres, deux des quelques rares pionniers du développement des arts martiaux en France ont insisté sur leur existence et leur savoir-faire supérieur. Faisant naître une légende urbaine que la génération des pratiquants actuels tient pour acquise et perpétue par commodité et méconnaissance du sujet.

Dans une de ses dernières chroniques, H. Plée a comparé certains experts japonais actuels aux maîtres de l’ombre qu’il a jadis connu et dont ils perpétueraient l’héritage.

Suivant l’enseignement de l’un d’entre depuis plusieurs années, Minoru Akuzawa fondateur de l’école Aunkaï, j’ai eu loisir d’échanger avec lui sur sa formation et la genèse de son école. Ne reconnaissant pas en lui toutes les caractéristiques décrites par les deux experts, je me suis posé la question de ce qu’on « classait derrière » cette définition du maître de l’ombre.

Ce qu’on nous vend depuis des années aux sujets des maîtres de l’ombre :

Selon l’Encyclopédie technique, historique, biographique des arts martiaux de Gabrielle et Roland Haberzetser, le  Kage-Shihan c’est celui qui, dans l’enseignement traditionnel des arts martiaux reste volontairement en retrait, dans l’ombre, laissant à d’autres le soin de transmettre ce qui peut être transmis sans risque de mauvais usage ou pour la survie de l’école. Il est cependant le dépositaire des vrais secrets d’efficacité de ce qui est enseigné mais qui ne doit rester accessible qu’à des élèves triés sur le volet  capable de transmettre à leur tour de manière sélective.

Toujours  selon RH, on ignore cependant de plus en plus que celui qui, dans la Tradition, passe même devant lui [le maître, le sôke de l’école NDRL] est ce Kage Shihan (le maître de l’ombre), qui a hérité de l’essentiel (ce qui est dans l’ombre de la technique), qu’il ne transmettra à son tour, au mieux qu’à UN disciple choisi, qui deviendra à son tour « un maitre de l’ombre ».

Mais précise dans les annotations de l’article « encore qu’il y aurait sur ce sujet de la transmission traditionnelle dans les Ryu également matière à réflexion et à questionnement… »

[SAMOURAI n°9/Okuden, l’autre versant]

« Ayant été introduit avec cet ordre de mission en main, et étant devenu ami avec certains de ces Maîtres (après pas mal de repas et de soirées très arrosées), au cours des quinze années suivantes je suis retourné les visiter, et aidé par mon ami Draeger il me fut même possible d’être introduit auprès de ceux que l’on appelle les Maîtres de l’Ombre (KageShihan), des Maîtres n’enseignant qu’à quelques disciples et hostiles à tout enseignement public »

[Henry Plée/Chroniques/Karaté-Bushido n°236-06/96]

« Les Kage-Shihan ont toujours existé dans les écoles authentiques (et non pas traditionnelles comme on le lit trop souvent), leur rôle étant précisément de maintenir le lien technique en cas de décès prématuré du Soke, contrairement à ce que l’on croit, il y a toujours des experts qui avaient une connaissance très poussé des principes de la Ryû et qui restaient dans l’ombre n’intervenant qu’en cas d’extrême nécessité. Leur fonction même leur imposait cette vie dans l’ombre tenus qu’ils étaient par l’importance et la solennité du secret »

[Kondo senseï/ interview/DRAGON magazine ]

Ce qu’on trouve dessus en creusant la question :

Pour commencer pas grand-chose. A moins de se contenter de la littérature évoquée précédemment il nous faut aller chercher les informations directement dans le domaine concerné : la culture
japonaise et plus précisément dans la définition des Koryû.

Koryû (古流) littéralement « ancien style » est un mot japonais utilisé en association avec les arts martiaux japonais antérieurs, du point de vue de leur fondation à la restauration Meiji et l’édit
Haitôrei (1876) qui a interdit le port du sabre.

Iwami soke reçoit une distinction pour ses efforts dans la promotion des koryu entre les maîtres de la Muso Shinto Ryu et de la Eishin Ryu, lors d’une réunion de la Nihon Kobudo Kyokai.

Chaque Koryû, style, ou école fait partie intégrante d’une maisonnée, d’un clan. Une maison qui a à sa tête un chef de famille, Sôke. Mais le terme de Sôke désigne non seulement le chef de famille mais également le grand maître du style à l’origine de l’école. Notez qu’il peut y avoir des fondateurs d’une école qui en deviennent des sôke à leur tour, par transmission, des successeurs du Shodai-Sôke. Les sôke sont généralement considérés comme l’autorité ultime dans leur art, et ont le dernier mot sur les promotions, cursus, doctrine et action disciplinaires. Un sôke a l’autorité pour délivrer un certificat menkyo kaiden indiquant que quelqu’un a maîtrisé tous les aspects de son style.

Dans certaines écoles telles que Kashima-Shinryu, il existe une position liée appelée Shihanke signifiant « lignée d’instructeurs » remplissant un rôle similaire. En fait, c’est une lignée secondaire
d’enseignement existant en autonomie par rapport au Sôke. Et dans les styles ou cette cohabitation est effective, il est possible que le Sôke soit essentiellement un titre héréditaire et que le Shihanke soit le responsable des enseignements et opérations de l’école.

[wikipedia]

Pas de notion de KageShihan dans la composition d’une école traditionnelle japonaise. Alors pourquoi ce mythe a-t-on le droit de se demander ?

Je n’ai pas la prétention de détenir une réponse, non. Mon envie et ma démarche consistent juste à s’interroger sur les prétendus acquis qui conditionnent ma pratique.

Mais j’ai tout de même envie de terminer cet article par l’extrait d’une chronique intitulé « Préjugés et mystifications ».

« A de rares exceptions près, tous les pratiquants d’arts martiaux ont un jour souhaité trouver « le maître des maîtres », qui les prendra sous son aile et fera d’eux un maître dans tous les domaines. L’ennui, dans cette quête bien normale du « bon sensei », est que le budoka en question jugera toujours les maîtres selon des critères imaginaires issus de mystifications subtiles afin que précisément, il ne puisse trouver le vrai maître. (…)

C’est parce que cet état d’esprit, typiquement ordinaire, a toujours existé que les grands maîtres, dits « de l’ombre », n’ont jamais eu réellement besoin de se mettre « dans l’ombre », protégés qu’ils sont par les préjugés de ceux qui les cherchent »

[Henry Plée]

6 commentaires sur « Les maîtres de l’ombre »

  1. Excellent, merci Kiaz pour cette remise à plat et ces nombreuses pistes à creuser.
    .
    Certains même se fourvoient dans leur recherche DU maître… pensant être à ses côtés alors qu’ils ont juste trouver le reflet de ce qu’ils attendaient !

  2. Merci pour cette synthèse qui fleure bon la venu de Senseï !
    Ce qui me fait sourire c’est le terme maître de l’ombre, ça m’évoque
    des images de vieux films HK avec des grands méchants vraiment méchant ^^…

    Pierre.

  3. Merci pour cet article qui bizarrement m’a fait découvrir un « concept » après 40 ans de pratique « martiale » … mais le judo/jujitsu doit certainement être moins propice aux « fantasmes » que l’aikido ou le karaté 🙂

  4. Bonjour Christophe,
    Et merci pour cet article très intéressant sur le mystère des Maître de l’ombre. Tu n’as pas la prétention de lever le voile, certes, mais en apportant quelques réponses à nos interrogations, tu laisses entrer un peu la lumière… Merci.
    Bruno

  5. Les maitres de l’ombre, ne nous sont pas accessibles; on ne trouvera rien sur internet. Feu Henri Plee ( paix a son ame) nous a seulement indique qu’ils existaient, c’etait son devoir de nous informer. Tout comme on peut etre au courant qu’il y a des anciens atlantes en meditation profonde dans des grottes inaccessibles ( et protegees de maniere occulte) au Tibet ( et d’ailleurs ne pas y croire) mais il nous est impossible d’y acceder. Ceux qui y parviennent sont predestines comme les maitres de l’ombre. Le travail et la volonte ne sont pas suffisant, meme si les doctrines humanistes nous font croire le contraire. (humanisme qui met l’homme au centre de tout) Si ils sont dans l’ombre volontairement, et que ce sont de vrais maitres, si on pouvait les rencontrer c’est que l’on serait plus malins qu’eux. il n’y a pas de chemin tres complique et difficile pour arriver jusqu’a eux. De toutes facons les arts martiaux concernent le domaine de la guerre, et c’est deja bien que des gens du ( civile y ai acces). Vous savez, je me suis demande si certains de ces maitres ( et pas seulement pour la version japonaise de l’art martial) ne se trouvaient pas du cote de ceux qui sont sur la voie de la main gauche ( satanisme desole c’est bien le terme qui convient). Euh non cela pourrait tout aussi bien etre le boulanger du coin qui pratique assidument depuis son enfance. Mon message n’est que suggestions hypothetiques, prenez le ainsi s’il vous plait. L’Humilite est une technique de self defense.

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