La modernisation des arts martiaux chinois.


Apparition des Arts Martiaux partie 5

Deux lectures m’ont fait particulièrement réfléchir, celle de Kenji Tokitsu et une autre de J.Carmona. Elles ont contribué à mes investigations ont nourrissant un peu plus cette série sur l’apparition des arts martiaux modernes. Je vous en livre quelques extraits et tente un développement un peu plus poussé dans la lignée de mon hypothèse initiale.

« Il semblerait que la part de la pratique chorégraphique dans les arts martiaux chinois ait augmenté de façon exponentielle au XXème siècle sous l’influence de la culture physique européenne. C’est ce que montre très bien par exemple le programme de l’association de culture physique Jingwu dont les enchaînements ont été codifiés comme des exercices de gymnastique. »
(José Carmona: De la difficulté à se faire entendre )

Milice de la justice et de la concorde

Je me rends compte que l’évolution des arts martiaux en Chine est étroitement liée à l’évolution de la pratique sportive proprement dite.
Qui, quant elle à été (et est encore ! regarder les JO de Pékin !) influencé par « la politique ».

« Entre tradition et sport. Paradoxalement, au début du Xxe siècle, l’influence occidentale et l’exemple du Japon où Jigoro Kano venait d’inventer le premier sport extrême-oriental, le Judo, furent probablement aussi décisives pour le renouveau des arts martiaux chinois que le réveil de l’orgueil national d’un peuple considéré alors comme “le malade de l’Asie” (dong ya bing fu). En 1909, à l’initiative du maître Huo Yuanjia, fut fondée à Shanghai “I’Ecole de culture physique Jingwu” (Jingwu ticao xuexiao) dont le nom changea neuf années plus tard pour “Association sportive Jingwu” (Jingwu tiyu hui). Prenant exemple sur les modèles étrangers, elle adopta des méthodes modernes d’enseignement et institua une progression technique privilégiant la pratique des enchaînements. »

C’est en quelque sorte le mélange du résultat de la défaite humiliante de la Chine lors des guerres de l’Opium dont la première date de 1840 et de l’action des missionnaires occidentaux qui ce sont donner pour mission de rééduquer « la nation malade » de l’Asie, qui aboutit à un sentiment de déclin national.

« La Chine est resté fermée au reste du monde jusqu’aux Guerres de l’Opium, dont la première date de 1840. Les traités qui y ont mis un terme ont ouvert aux Occidentaux l’accès à la Chine comme jamais auparavant. Au cours de cette période, le sport en Chine à subit de profondes évolutions. Les sports occidentaux furent introduits en Chine par l’Europe, l’Amérique et le Japon, ce qui entraîna des conflits entre le sport occidental et le sport traditionnel chinois. A cette occasion, certains Chinois se rendirent compte que la culture et les sports traditionnels chinois, ainssi que les valeurs qui leurs étaient associés ne correspondaient plus aux besoins entraîné par le développement rapide du pays. Pour eux, c’est le sport occidental qui répondait le mieux aux exigences de la modernité »

« Il est regrettable que chacun des 400 millions de Chinois ne soit pas en bonne santé. Une nation composée d’hommes malades est sans aucun doute une nation malade »
(Article du « Le Nouveau Citoyen » (1903), de Liang Qichao)

À cette époque, les sports « modernes », marqués du sceau de l’étranger, font leur apparition à Shanghai. La première rencontre d’athlétisme a ainsi été organisée dans une école de missionnaires de la ville en 1890 et la première équipe de football formée en 1901.
« Certains sports occidentaux existaient déjà, reflétant pour la plupart des exercices militaires (1840- 1911). Ces exercices s’étaient largement et rapidement développés, car ils se fondaient sur l’esprit martial chinois et sur l’idéal traditionnel chinois du régime unifié… »

Toujours à Shanghai, un magasin propose des tables de ping-pong à partir de 1904. Le matériel est importé du Japon et les employés disputent des matchs dans la vitrine pour attirer les badauds.
Du coup, la peur de ce déclin est très présente dans les milieux des intellectuels chinois et certains d’entre eux associent volontiers les notions d’éducation physique et de force nationale (dont le jeune Mao Zedon)…

« Notre pays est vidé de sa force. L’intérêt public pour les arts martiaux s’amenuise. La santé des citoyens décline de jour en jour. Ce phénomène mérite notre plus grande attention. Les promoteurs de l’éducation physique n’ont en rien réussi à changer les choses car les racines du problème demeurent. Notre pays s’affaiblira encore si rien n’est fait pour changer les choses. »
(Propos de Mao Zedong)

Le sport constitue donc un maillon très important de l’impérialisme culturel occidental en Chine, et, parallèlement, il permet également à beaucoup d’intellectuels de formuler et de transmettre l’idéologie nationaliste qui marque la fin du XIXe et le début du XXe siècle.

Mao, tout comme Chen Duxiu, insiste sur le conditionnement physique et la santé, plutôt que sur l’esprit de compétition qui prévaut dans la conception occidentale du sport

(Libre inspiration du http://www.rue89.com/hors-jeux/de-mao-aux-jo-de-pekin-du-bon-usage-ideologique-du-sport )

Il semblerait d’ailleurs que c’est vers la fin des années vingt que la séparation de l’enseignement des arts martiaux chinois se fit en deux sections, l’une pour l’école externe (Shaolin men), l’autre pour l’école interne (Wudang men).
En effet, la période 1928-1937, au cours de laquelle la Chine retrouva un semblant d’unité, vit la création d’une institution nationale, le Zhongyang Guoshu guan, « Ecole Centrale des Arts nationaux » (c’est-à-dire « martiaux ») fondée en 1927 à Nankin.
Des tentatives d’organisation des rencontres sportives eurent lieu.
Que se soit des combats à mains nues et aux armes courtes et longues !
Toutefois, le premier « examen national » qui en 1928 à Nanjing réunit 333 participants originaires de 17 provinces, se déroula dans une certaine confusion en raison de l’absence de réglementation : le nombre de blessés fut tel que le jury dut procéder à l’élection des vainqueurs !
Cet événement historique démontra l’inexistence des extraordinaires pouvoirs prêtés par l’imagination populaire aux maîtres de la boxe chinoise.

(ici un autre texte, de J.Carmona cette fois ci à propos de cette rencontre à Nankin en 1928)

Lors de la démonstration aux Jeux Olympiques de Berlin, parmi les neuf athlètes qui composaient la délégation chinoise on compta Zhang Wenguang, un des principaux représentants officiels du Wushu en Chine à l’heure actuelle.

Mais, c’est le déclenchement de l’agression japonaise en 1937 mis un frein à ce développement sportif des arts martiaux chinois dont les principaux artisans de l’Ecole Centrale se replièrent dans l’île de Taïwan après la débâcle de 1949. Après la fondation de la République populaire de Chine le ler octobre 1949, le Wushu, appellation officielle qui remplaça le terme Guoshu, se modernisa selon deux axes principaux, l’exercice de santé d’une part, et celui du sport d’autre part.

(Libre inspiration du http://wushu.anthologeek.net/article.php3?id_article=17 )

Plusieurs sources, que ce soit chinoises que japonaises, rapportent qu’avant la moitié du XIX ème les techniques martiales (je n’emplois volontairement pas les termes d’Arts Martiaux qui lui n’est apparut qu’à partir des années 30 au XXè siecle) étaient enseignées en secret. Que ce soit au sein des familles ou à travers d’un « disciple » choisit.
Et tous les protagonistes rapportent que les techniques et les enchaînements n’étaient pas nombreux.

Un changement « radical » s’est produit au début du XX ème siècle avec l’apparition soudaine d’une multitude de styles (quoique vu la superficie du territoire chinois une autre thèse pourrais être soutenue…) et surtout une surmultiplication des enchaînement codifiés (taolus , katas)….

Je pense que l’exemple de la modernité et surtout de la puissance des empires occidentaux porté par un dévouement et un engagement dans les pratiques corporelles très présentes au XIX ème siècle à été purement et simplement tenté d’être reproduit à la sauce locale.

N’oublions pas que ces formes de « gymnastiques » portaient en elles toutes la valeurs patriotiques, collectives et militaires…..tout ce que la Chine avait besoin à cette période de trouble et d’incertitudes (plusieurs soulèvements en moins d’un siècle avec des millions de morts, l’humiliation imposée par les puissances occidentales)….
Pour les chinois le glas à sonné avec l’écrasement de la Révolte des Boxers en 1900.

« L’année 1901 marque la fin de l’épisode des Boxers et l’échec de la politique conservatrice menés par les Mandchous à Pékin.
Ce virement politique permet à certains agents sociaux, issus pour la majorité de deux tendances ; ceux qui ont suivis une formation supérieur en Angleterre et aux Etats-Unis pour les promoteurs de sport, et au Japon et en Allemagne pour les promoteurs de gymnastique et des « arts martiaux sportifiés », d’élaborer des stratégies pour structurer les pratiques corporelles.
Les promoteurs des sports, ceux des pratiques dites « anciennes » et ceux des gymnastiques, essaient à travers leurs engagements d’imposer leur culture, mais aussi d’investir l’Etat. »

(Un extrait « librement » pioché dans « La Naissance du sport en Chine 1900-1949» par Aurélien Boucher)

La modernisation des arts martiaux chinois

« Le mouvement du Yihé tuàn a drainé et consumé l’aspect irrationnel des arts martiaux chinois. Même si les adeptes avaient de grandes capacités individuelles, ils leur manquaient une pensée stratégique fondamentale (…)
Depuis le milieu du 19e siècle, l’introduction de la culture et du savoir scientifique occidentaux entraient de plus en plus en conflit avec la pensée culturelle de la population. La manière de mettre en œuvre la pensée nationaliste est variable selon le niveau culturel de la personne. Certains voulaient étudier la force militaire occidentale afin de chasser les Occidentaux, d’autres refusaient de toucher tout ce qui vient de l’Occident par respect de la culture traditionnelle chinoise. Les premiers, vus par les seconds, apparaissent comme des traîtres. La dynamique du mouvement de la société est complexe.
Après la révolution Xinhài, de nombreuses tentatives de modernisation se sont concrétisées dans le domaine des arts martiaux. Si le mouvement du Yihé tuàn a accentué la tendance mystique et fanatique des arts martiaux, il en existait de nombreux autres qui cherchaient d’autres formes de développement, tantôt militaires, tantôt civiles.
Depuis la fin du 19e siècle, le sport occidental fut introduit par le biais des associations de jeunesses chrétiennes. L’idée et l’image du sport furent associées à la modernité et à l’efficacité de la force militaire occidentale. Parallèlement, plusieurs dirigeants politiques firent des études au Japon et y virent une nouvelle forme d’organisation des arts martiaux. Les Japonais ont cherché et trouvé des synthèses de l’éducation physique occidentale et de la pratique corporelle traditionnelle; le jûdô en était l’exemple typique ; ils la mettaient en pratique sous le terme taïiku (tiyù en chinois). Les étudiants chinois étudièrent au Japon les différentes disciplines sportives ainsi que le jûdô qui s’ajustait parfaitement au système scolaire et militaire. De retour en Chine, les Chinois progressistes importèrent l’idée du tiyù par lequel ils tentèrent de réorganiser les arts martiaux traditionnels. L’exemple du Japon était important pour eux.
En 1900, Ma Liang élabora, pour la formation militaire, une forme de gymnastique basée sur des techniques de projection et de percussion. Il y rajouta plus tard le bâton et le sabre et appela l’ensemble des disciplines ”Zhonghua xin wushu” (nouvel art martial chinois). Il organisa chaque discipline d’une manière logique pour en faciliter l’apprentissage.(…)
Il établit une forme d’entraînement solitaire susceptible de s’appliquer directement au combat au corps à corps. »  (Kenji Tokitsu)

2 commentaires sur « La modernisation des arts martiaux chinois. »

  1. Salut Kiaz,

    Merci pour cette longue et passionnante suite. J’y ai appris plein de choses. Les vidéos sont bien choisies aussi, il y aurait plein de choses à dire. Notamment sur le match de soi-disant maîtres de kung-fu qui tourne au match de boxe et baffes dans la gueule 🙂
    Je ne vais toutefois relever que les propos de Mao Zedong (avec un g à la fin mon cher),qui sont assez amusants. Il semble pleurer sur la disparition des disciplines martiales qui prônent les valeurs de la Chine. Mais une fois au pouvoir en 49, il va faire voter l’interdit de toutes pratiques martiales sur le territoire comme étant contraire à l’esprit de la Chine nouvelle et communiste. Cela pouvait se comprendre. Il n’était plus le jeune nostalgique et avait connu la résistance puis la guerre contre le Guomontang. Les maîtres de kung-fu ont d’ailleurs fui en masse à Taïwan et à Honk-Kong. Venant d’un filou comme lui, ce genre de changement n’est pas étonnant, sa direction du pays est pleine de ces contradictions qui ont coûté la vie à plus ou moins 50 millions de personnes.
    En tous cas merci pour cette recherche passionnante et édifiante. Vivement la suite.

    1. Bonjour ivan,
      Merci à toi pour les lectures. L’honneur de l’empereur rouge est sauf après le rajout de la lettre manquante. Le grand timonier, tout comme d’autres dirigeants à favorisé l’essor du nationalisme à travers l’effort physique et les valeurs traditionnels. En somme un outil pour servir certains desseins. Ceux-ci accomplis il fallait éviter qu’il ne se retourne pas contre son investigateurs. Même les gardes rouges ont fini par connaître sa disgrâce.

      Amicalement,
      kiaz

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